Avec la validation par l’Assemblée nationale de Denis Kadima au poste de président de la Commission électorale (CENI), le Congo replonge dans une crise pré-électorale profonde, qui rappelle la fin chaotique du mandat de Joseph Kabila entre 2015 et 2018.
La deuxième nomination du président de la Commission électorale congolaise sera-t-elle la bonne ? A l’été 2020, le nom de Ronsard Malonda avait créé la polémique, et sa candidature avait été rejetée par le président Félix Tshisekedi. En cause : sa trop grande proximité avec le FCC de l’ancien président Joseph Kabila. Aujourd’hui, c’est au tour du nom de Denis Kadima, qui vient d’être entériné par l’Assemblée nationale, de susciter la controverse. Ironie du sort, une grande partie de la classe politique congolaise l’accuse d’être trop proche du président Tshisekedi, qui brigue un second mandat en 2023.
Le problème, c’est que Félix Tshisekedi n’avait que des mauvaises solutions devant lui face au tollé soulevé par la candidature Kadima. En la validant, il ouvre une crise ouverte avec le FCC de Joseph Kabila, Lamuka de Martin Fayulu et Adolphe Muzito, mais également avec certains de ses alliés de l’Union sacrée : Ensemble de Moïse Katumbi et le MLC de Jean-Pierre Bemba. Mais surtout, Félix Tshisekedi risque de se mettre à dos la très puissante église catholique et les protestants, qui ont tous les deux récusés Denis Kadima, après avoir subi des pressions en coulisse pour imposer sa candidature.
Des églises politisées
A l’inverse, si le chef de l’Etat ordonnait à sa majorité de repoussé le nom de Kadima, Félix Tshisekedi se brouillait alors avec les six confessions qui avaient voté pour cet expert électoral, internationalement reconnu. « A six voix contre deux, c’est bien la majorité des églises qui ont penché pour Kadima » nous explique un membre de l’Union sacrée, pourtant pas très à l’aise avec cette candidature. « Et la majorité doit l’emporter faute de consensus » finit-il par lâcher, « c’est la règle ! ». Si l’Union sacrée plaide pour son bon droit, le vote à l’Assemblée nationale a été très houleux pour entériner les nouveaux membres de la CENI.
Il faut dire que le mode de désignation de la Commission électorale par les confessions religieuses pose question en RDC. Censées être « neutres », « impartiales » et « représentatives », les églises au Congo sont tout le contraire. En l’absence de l’Etat qui manque à toutes ses missions premières : santé, éducation, emploi… les religieux ont comblé le terrain. L’église catholique, omniprésente et particulièrement puissante, s’est souvent substituée à un Etat défaillant, éveillant la jalousie des politiciens. Depuis les années 1990, l’église catholique s’est vu confiée des tâches de médiations politiques à chaque crise institutionnelle… et elle y a pris goût.
Des « petites » confessions majoritaires
La nomination du président de la CENI par les confessions religieuses est donc un rôle éminemment politique, où prélats, pasteurs et imams sont régulièrement courtisés par les partis et les plateformes politiques de tout bord. Le hic, c’est que sur les huit confessions religieuses, deux représentent plus de 80% de la population congolaise (ce sont les catholiques et les protestants), alors que les six autres, à peine 20%. Et dans la controverse autour de la désignation de Denis Kadima, ce sont les six églises « minoritaires » qui ont porté sa candidature, alors que les deux plus puissantes confessions, s’y sont opposées. Le poids et le représentativité des églises ne sont donc pas respectés dans un vote majoritaire.
Le vote de l’Assemblée nationale ouvre donc une période institutionnelle troublée à un peu plus de deux ans d’une présidentielle très incertaine et attendue. La « dépolitisation » de la CENI est maintenant devenue une des principales revendications de l’opposition à Félix Tshisekedi. Ce week-end, une dizaine de milliers de manifestants ont défilé à Kinshasa pour dénoncer la candidature de Denis Kadima, craignant que les élections de 2023 soient verrouillées pour assurer la réélection de l’actuel chef de l’Etat. D’autant que le nouveau président de la Cour constitutionnelle, Dieudonné Kaluba, est lui aussi proche de Félix Tshisekedi. « Le président de la CENI annonce les résultats provisoires des élections et le président de la Cour constitutionnelle les valide ! La présidentielle est écrite d’avance ! » fustigaient les manifestants dans les rues de Kinshasa ce week-end.
La crainte d’un nouveau glissement
La crise politique prend également une nouvelle tournure pour les alliés de Félix Tshisekedi au sein de l’Union sacrée. Avec au premier plan, le parti Ensemble de Moïse Katumbi. L’ancien gouverneur du Katanga, qui vise la présidentielle de 2023, avait fortement contesté la désignation de Denis Kadima. Au sein de sa formation, on dénonce la volonté du président Tshisekedi de vouloir organiser des élections « ni inclusives, ni équitables ». La participation d’Ensemble à l’Union sacrée sera « réévaluée » selon un récent communiqué. La plateforme katumbiste représente la deuxième force politique au sein de l’Union sacrée.
A 26 mois des prochaines élections, la RDC replonge dans une crise pré-électorale dont le scénario est malheureusement bien connu, pour l’avoir déjà vécu en 2016, avec le « glissement », puis le report du scrutin en 2018. Avec son lot de manifestations et de répression. Pourtant, le président Tshisekedi garde encore la main sur les événements. Car, après le vote de l’Assemblée nationale, le chef de l’Etat doit valider le nom du nouveau président de la CENI. Ce qui n’est pas encore fait. Il reste donc une dernière chance au président de la République pour ne pas passer en force. Mais les tractations risquent encore d’être longues, faisant peser la crainte d’un glissement du calendrier électoral. Un report qui prolongerait le mandat de Félix Tshisekedi.