« Sénateur à vie », l’ancien chef de l’État Joseph Kabila a fait son grand retour sur la scène politique congolaise lors de la rentrée parlementaire. Une apparition surprise, alors que la présidentielle de 2023 est déjà dans toutes les têtes.
« Le retour de Joseph Kabila n’est pas un slogan, c’est une réalité. Il va retourner au pouvoir et nous sommes en train d’y travailler. » En tournée dans le Haut-Katanga et le Lualaba depuis le début de la semaine dernière, Claude Nyamugabo, le ministre de l’Environnement, était en mission officielle à Kolwezi pour évaluer l’impact de l’activité des activités minières sur l’environnement quand il a lâché cette petite phrase dont l’écho a résonné jusque dans les couloirs des états-majors des partis, à Kinshasa.
D’autant que sa parole a du poids. Ancien gouverneur du Sud-Kivu, Claude Nyamugabo est un cadre important du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation politique de l’ancien président congolais. Et sa sortie intervient dans un contexte particulier.
Apparition surprise
Mardi 15 septembre, Joseph Kabila a en effet signé son retour public sur une scène politique congolaise qu’il n’avait cependant jamais tout à fait lâché depuis qu’il a quitté le pouvoir. Barbe grisonnante fournie – celle-là même qu’il avait rasé pour le jour de l’investiture de Félix Tshisekedi, le 24 janvier 2019 – , et ceint de son écharpe de « sénateur à vie », Joseph Kabila a fait une entrée très remarquée.
Accueilli solennellement par les membres du bureau du Sénat, accompagné du Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, et de la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, tous deux membres de son parti et invités pour la session d’ouverture de la chambre haute, Joseph Kabila n’a pas eu un mot sur le contexte politique. Posant pour un selfie ici, posant une main amicale sur une épaule là, l’ancien président, affichant un sourire serein, a joué la carte de la décontraction, comme pour rassurer.
Comme à son habitude, Kabila avait maintenu le secret jusqu’au dernier moment. « Seuls quelques responsables ont été prévenus, quelques minutes avant son arrivée au Palais du Peuple », raconte à Jeune Afrique un proche de l’ancien président. L’opération de communication aura fonctionné à plein, entre photographies largement partagées et commentées sur les réseaux sociaux et articles dans la presse congolaise et internationale.
L’évènement, savamment mis en scène, en a pour partie éclipsé un autre, qui se tenait à quelques encablures du Palais du Peuple, au même moment : une messe à la cathédrale Notre-Dame-du-Congo, dite en mémoire de Germaine Djembo, belle-sœur du président du Congo, à laquelle participait Denis Sassou Nguesso et Félix Tshisekedi.
Se replacer sur le devant de la scène
Surtout, il intervenait alors que, la veille de la rentrée parlementaire, Néhémie Mwilanya Wilondja, le coordonnateur du Front commun pour le Congo (FCC, la coalition à laquelle appartient le PPRD de Kabila), dressait devant les députés et sénateurs fidèles à l’ancien président l’état des lieux des discussions en cours avec la coalition Cap pour le changement (Cach, de Félix Tshisekedi). Et pour la première fois, Mwilanya a évoqué le contenu de l’accord liant Thisekedi à Kabila, qui prévoit que le FCC reprendra la présidence congolaise en 2023…
Pour Kabila, participer à la rentrée parlementaire était « un moyen de se replacer sur le devant de la scène politique, d’y afficher sa combativité, en personne, alors qu’il apparaissait jusqu’ici en retrait physiquement », analyse Martin Ziakwau Lembisa, enseignant à l’Institut facultaire des Sciences de l’information et de la communication de Kinshasa.
KABILA S’EST SENTI OBLIGÉ DE RASSURER SA MAJORITÉ PAR SA PRÉSENCE
À en croire une source au sein de l’entourage de l’ancien président, « Kabila s’est senti obligé de rassurer sa majorité par sa présence ». Ses partisans sont en effet bousculés ces dernières semaines. Début juillet, bien qu’il possède la majorité à l’Assemblée et au Sénat, et qu’il compte dans ses rangs plusieurs ministres – dont le premier d’entre-eux -, le Front commun pour le Congo a essuyé un sévère camouflet.
La proposition de loi controversée sur la réforme de la justice, portée par des députés pro-Kabila, a été bloquée à l’Assemblée. Les députés ont suspendu l’examen du texte sur fond de manifestations, de crispations grandissantes avec leurs « alliés » du Cach et après que le président Tshisekedi a publiquement pris position contre cette réforme.
« Préserver les équilibres qui forment la base de l’alliance au pouvoir est l’un des rôles qu’il entend jouer, et c’est le message qu’il a voulu faire passer en se rendant au Sénat », assure un de ses proches.
L’exercice a visiblement été apprécié dans les rangs du FCC. « Il avait promis qu’il respecterait la Constitution, et il l’a fait. Il ne s’est pas présenté pour un troisième mandat successif. Aujourd’hui, il a accompli toute la loi, en assumant son nouveau statut, certes honorifique, de Sénateur à vie », a ainsi salué Néhémie Mwilanya. Modeste Bahati Lukwebo, un dissident du FCC, y a vu un geste « de respect » envers les institutions.
Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS (principal parti du Cach), voit au contraire dans cette apparition de Kabila sous l’écharpe de sénateur la reconnaissance que « les choses ont changé » et que l’ancien président « avait sa place au Parlement, et pas ailleurs ».
Démonstration de force
Sauf que l’accueil réservé à Joseph Kabila était loin de celui accordé à ses collègues sénateurs. Il a siégé aux côtés des invités de marque, dont le Premier ministre et la présidente de l’Assemblée nationale, et non sur le siège qu’il devait occuper en tant que sénateur – à vie ou pas. Comme pour montrer que c’était bien l’ancien président de la République, chef de l’actuelle majorité parlementaire, qui était reçu, et pas le « simple » sénateur.
Cette démonstration de force politique a en outre précédé la rencontre entre Kabila et Tshisekedi de ce dimanche 20 septembre. Préparée de longue date, mais plusieurs fois repoussée, cette discussion entre les deux hommes avait notamment pour but de montrer que le divorce n’est, pour l’heure, pas encore consommé entre le FCC et le Cach, malgré les tensions et de très nombreux points de divergences entre les états-majors et les militants des deux coalitions.
Dans ce contexte, le retour au Sénat de Kabila peut donc être lu de deux manières, selon le politologue Martin Ziakwau : « Soit le FCC cherche à persuader le Cach des avantages qu’il faut préserver et à renforcer le partenariat actuel, soit il entend démontrer qu’il est disposé à un éventuel bras de fer, dont l’issue serait incertaine ».
Jeune afrique