Pourtant, quelques mois avant, le président cumulait 54%. Donc, il a perdu 25 % en moins d’une année par rapport au précédent sondage. Aujourd’hui, la courbe est descendante. De 54% de bonnes opinions en 2020, contre 62% en mars 2019, 76% avant sa rupture de l’accord de Genève (accord pour ne présenter qu’un seul candidat aux élections de 2018 contre Joseph Kabila) et 57% juste après qu’il ait renié sa signature au bas de cet accord.
Dans un entretien lundi à Ouragan.cd, Trésor Kibangula, analyste politique à Ebuteli, le partenaire de recherche du Groupe d’étude sur le Congo ( GEC) explique que les Congolais semblent être lassés par des promesses non tenues mais surtout par tous ces projets annoncés mais finalement restés à la case départ ou lancés dans l’impréparation. Le cas de la gratuité de l’enseignement est frappant. Les résultats de cette étude donnent aussi des indications importantes. Par exemple, près de 30 % des Congolais n’ont aucun avis sur le président Félix Tshisekedi. Attention, ces indécis peuvent ou ne pas basculer.
Kibangula rappelle cependant que la dégringolade de Fatshi n’a pas non plus profité à ses potentiels adversaires à la prochaine présidentielle. Cette méfiance de la population concerne aussi les opposants. Difficile de prédire donc le vrai scénario qui pourra se dessiner en 2023. A son entendement, le jeu va se clarifier si les autres acteurs politiques prenaient ouvertement position à l’approche des élections.
Trésor Kibangula, vous êtes analyste politique à Ebuteli, le partenaire de recherche du Groupe d’étude sur le Congo ( GEC), vous venez de publier fin mars un sondage intitulé “L’an 3 de Tshisekedi, fin de l’embellie”. L’étude réalisée en décembre 2021 en collaboration avec le Bureau de consulting international – (BERCI) démontre clairement la chute de popularité du président Tshisekedi ( moins de 30%). Selon vous, qu’est-ce qui explique cette exaspération de la population ?
Trésor Kibangula : Cette exaspération est en fait une défiance de la population à l’égard des politiques, gouvernants ou opposants compris. Au-delà des chiffres, ce sondage démontre assez clairement que des Congolais font de moins en moins confiance aux politiques pour améliorer leur sort. La tendance à la démobilisation politique se confirme et transparaît dans certains résultats de cette étude. Il suffit d’observer par exemple le taux de possibles abstentionnistes : seulement 43 % des Congolais sondés disent qu’ils iront voter si la présidentielle était organisée dimanche. Et il y a près de 30 % des Congolais qui n’ont aucun avis sur le président Félix Tshisekedi. Ce sera intéressant de voir, dans les mois à venir, vers qui ce réservoir important d’indécis va basculer.
Ceci dit, notre rapport rappelle plusieurs facteurs qui peuvent expliquer la chute de la cote de popularité du chef de l’État : tous ces projets annoncés mais finalement restés à la case départ ou lancés dans l’impréparation. C’est le cas, entre autres, de la gratuité de l’enseignement, l’une des mesures phares du président.
Y-a-t-il des secteurs où les Congolais attendaient des signaux clairs et le fait que ça tarde à se réaliser, il y a cette déception ?
L’alternance pacifique au sommet de l’État avait en effet suscité beaucoup d’espoir auprès des Congolais. Et le nouveau président n’a cessé également de promettre d’améliorer le social de ses concitoyens. Trois ans après, ce sondage montre que les Congolais commencent à s’impatienter, car des engagements pris, n’ont pas été concrétisés. Des réformes structurelles, sociales ou économiques tardent à venir. Même pour le processus électoral, rien n’indique, à ce stade, que le pays se dirige vers un cycle plus apaisé, inclusif et crédible.
Quelle perception la population a de l’état de siège et de la lutte contre la corruption, deux piliers phares de la gouvernance Tshisekedi ?
Au début, l’état de siège instauré en Ituri et au Nord-Kivu était plutôt plébiscité par les Congolais interrogés. Sans doute parce que cette mesure exceptionnelle était une première, inédite. En septembre 2021 par exemple, plus de 60 % des personnes sondées la considéraient comme une bonne chose. Mais, les résultats du sondage réalisé en décembre de la même année indiquent que cet optimisme recule. L’on n’a compté désormais que quelque 43 % des Congolais favorables à l’état de siège. Dans les provinces concernées, c’est encore plus frappant, puisque les personnes interrogées là-bas qui jugent que cette mesure est une bonne chose, sont désormais moins nombreuses que celles qui estiment qu’il s’agit d’une mauvaise chose. À l’échelle du pays, ils ne sont plus que 36 % des Congolais sondés à considérer que l’état de siège permettra l’éradication des groupes armés, alors qu’ils étaient plus de 50 % à le penser en septembre 2021. En fait, à la fin de l’année 2021, au moment de la réalisation de ce sondage, la situation sécuritaire là-bas ne s’était toujours pas améliorée. Au contraire. L’entrée autorisée des troupes ougandaises n’a non plus rencontré une adhésion populaire dans cette partie du territoire.
Sur la lutte contre la corruption, ce rapport observe une attitude ambivalente des Congolais. Moins de 20 % des personnes interrogées trouvent que la situation s’est améliorée au cours des six derniers mois. En même temps, Jules Alingete, inspecteur général des finances – chef de service, qui incarne l’image du combat du nouveau régime contre la corruption, est plutôt applaudi : près de 47 % d’opinions favorables. À l’inverse, près de 60 % des personnes interrogées indiquent que le gouvernement est inefficace dans la lutte contre la corruption. C’est le lieu de rappeler, entre autres, le sort de la Cour des comptes qui attend toujours des moyens pour être effectivement opérationnelle afin de mener le travail de contrôle des institutions publiques.
Est-ce que cette courbe descendante concerne aussi les autres institutions comme le gouvernement, le Parlement et même la justice ?
Oui, en effet. Le gouvernement n’y échappe pas. Une indication : en septembre 2021, la majorité des Congolais interrogés appréciaient encore le travail du gouvernement dans le secteur de la justice. En décembre de la même année, ils n’étaient plus que 32 % à en être satisfaits. Du côté du Parlement, beaucoup attendent des députés et sénateurs qui fassent réellement leur travail. Conséquence : 58 % d’entre eux estiment qu’ils ne font plutôt pas, voire pas du tout, confiance à l’Assemblée nationale, quand presque 60 % ne font pas confiance au Sénat
Est-ce que la baisse de popularité de Tshisekedi profite-t-elle à ses potentiels concurrents à la présidentielle de 2023 ?
Pas forcément. Et c’est l’autre des principaux enseignements de ce sondage. La cote de popularité du chef de l’État a baissé de manière vertigineuse certes, mais ses potentiels concurrents pour 2023 n’ont pas connu une hausse de leur cote de popularité dans les mêmes proportions. Au contraire. Je pense que des Congolais attendent plus de clarté dans le positionnement des uns et des autres à l’approche des élections. Le prochain sondage, qui sera réalisé «face à face», permettra sans doute d’y voir plus clair.
D’après vos indications sur le terrain, un retournement de situation avant 2023 est-il possible si les politiques publiques touchent réellement au social de la population ?
Le sondage est, bien entendu, une photographie de l’opinion publique à un moment précis. Tout ceci peut donc évoluer. Cela dépendra des actions et signaux des acteurs. Aujourd’hui, l’on compte beaucoup de Congolais qui sont indécis et plusieurs autres qui disent qu’ils n’iront pas voter. Voilà des personnes qu’il faut encore convaincre.
Pensez-vous que la population est sévère dans son attitude, son comportement à juger les dirigeants et les acteurs politiques ?
Il y a eu beaucoup de promesses de changement. Et après 18 ans de règne de Joseph Kabila, cela a suscité beaucoup d’espoir. Je pense que la démobilisation politique que l’on constate aujourd’hui et la défiance à l’égard des politiques sont à la hauteur de la déception.
OURAGAN