On observe entre Kinshasa et Kampala une sorte de vacillement de la lune de miel qui s’est installée depuis la signature d’accords commerciaux entre les chefs d’Etat des deux pays en mai 2021, suivie en novembre dernier du déclenchement d’opérations militaires mutualisées pour traquer les terroristes ougandais de l’Allied Democratic Forces (ADF) et autres milices nationales qui écument l’Est de la RDC, faisant planer une sérieuse menace pour la paix dans cette frontière commune.
L’idylle entre les deux Etats semble subitement être mise à mal par les rumeurs persistants d’un soutien apporté par l’armée ougandaise à son ‘‘allié naturel’’ rwandais et à ses supplétifs du M23 dans la nuit de dimanche 12 à lundi 13 juin 2022 dans la région de Bunagana. Selon les auteurs de ces assertions, l’UPDF, en contraignant les FARDC à opérer un repli stratégique sur son territoire, lundi 13 juin, aurait permis aux RDF-M23 de prendre possession de la bourgade de Bunagana, un poste frontalier important de la RDC.
Mais curieusement, en dépit des tweets anti-congolais et pro-rwandais attribués au général Muhoozi, fils du président ougandais et commandant des forces terrestres de ce pays, les éléments FARDC repliés en territoire ougandais n’ont pas été désarmés comme il est de coutume en pareilles circonstances. Mieux, les forces loyalistes congolaises se sont vu ouvrir un couloir sécurisé pour rentrer en bon ordre avec armes et munitions dans leur pays.
Certes, côté congolais comme côté ougandais, aucune accusation formelle n’a été enregistrée à ce sujet mise à part la déclaration du speaker de la chambre basse du parlement accusant le général Muhoozi d’avoir poignardé la RDC dans le dos. Ce que ce dernier a catégoriquement démenti.
Officiellement, les deux armées continuent à collaborer à l’éradication des forces négatives un peu plus loin du théâtre de la récente agression rwandaise à Bunagana.
Mercredi 1er juin, les opérations militaires conjointes FARDC – UPDF lancées en novembre 2021 ont été prolongées de 2 mois, et ne devraient plus prendre fin que début août 2022.
Nouvelles opérations conjointes
Dimanche 12 juin, l’UPDF et les FARDC avaient bombardé un nouveau bastion ADF au croisement des rivières Loya et Luna en territoire d’Irumu (Ituri). Ces pilonnages s’inscrivent dans le cadre de la troisième phase des opérations conjointes et visent à empêcher les rebelles ougandais de se réorganiser à partir de nouvelles bases.
Mardi 14 juin, des miliciens CODECO, mis sous pression par les deux forces armées, avaient tué 8 personnes et kidnappé 6 autres au cours d’attaques dans les villages Ndiridjo et Bandombo en territoire de Djugu voisin. Le même jour en groupement Itendey dans le secteur de Banyali- Kilo, étaient enlevés 7 personnes surprises dans leurs champs par d’autres miliciens CODECO qui avaient également emporté du bétail.
Dans la région de Beni, mercredi 15 juin, les FARDC ont neutralisé 9 éléments ADF et récupéré 6 armes dont 4 de type AK-47, un mortier ’60 et une lance-roquette. Des incidents qui attestent de l’activisme persistant des forces négatives opérant dans cette partie du territoire de la RDC, que les opérations militaires lancées il y a 6 mois devaient mettre hors d’état de nuire.
Intérêts stratégiques et économiques croisés
Un rapport du Groupe d’études sur le Congo (GEC) sur les opérations conjointes FARDC-UPDF publié au milieu de la semaine relativise le succès revendiqué en soutenant que la traque contre les ADF n’a réussi qu’à les subdiviser en 4 nouvelles entités les rebelles qui se sont éparpillés au fin fond des forêts ituriennes d’où ils tentent de se refaire une santé. Les rédacteurs de ce rapport croient jeter un pavé dans la marre en soutenant que l’objectif poursuivi par l’armée ougandaise réside dans la protection d’intérêts économiques, notamment pétroliers. Une véritable lapalissade car personne n’ignore que tel a toujours été le cas.
Par contre, la supposée intervention ougandaise aux côtés des RDF-M23 soulève quelques questionnements. «Il ne faut pas oublier que dans une guerre hybride comme celle que le Rwanda impose à la RDC depuis une trentaine d’années, l’intoxication est une arme redoutable non seulement pour démoraliser la cible mais également consolider la position de l’agresseur», déclare à nos rédactions un stratège du Centre des hautes études de sécurité et de défense du gouvernement congolais qui rappelle la situation peu confortable du Rwanda, en délicatesse aussi bien avec la Tanzanie, le Burundi, l’Ouganda qu’avec la RDC.
«Etre ainsi entouré des voisins ‘‘peu sûrs’’ n’est guère rassurant pour les Rwandais. On peut comprendre qu’ils cherchent à tout prix à desserer l’étau en enfonçant un coin dans le nouveau mariage entre l’Ouganda, son ancien allié et la RDC. Rien de plus facile: il suffit de quelques tenues militaires et de quelques véhicules de transport de troupes estampillés UPDF ou encore de quelques tweets attribués à de hauts gradés ougandais pour jouer avec la crédulité des Congolais, écorchés vifs par les différentes occupations dont ils ont été l’objet au cours des dernières années», a-t-il ajouté.
Le Rwanda pourrait ainsi, selon cette source, être tenté de partager aux yeux de ses victimes congolaises l’opprobre de son agressivité récurrente avec l’Ouganda qui semble avoir adopté en l’espèce une attitude plus réfléchie.
Notre interlocuteur se souvient que pendant la ‘‘1ère guerre mondiale africaine’’ qui vit l’Ouganda et le Rwanda occuper l’Est de la RDC, c’est le président Museveni qui fut le premier à décrocher. Il cite à ce sujet un témoignage du défunt général ougandais Eriya Mwine, alias chefe Ali qui, envoyé à Kigali par son chef pour convaincre les Rwandais de lever le pied au Congo: «Paul (Kagame, ndlr) insisted that I should convince Mzee to give him ‘‘carte blanche’’ (en français) in Congo if you are no longer interrested» (Kagame a insisté pour que je dise au vieux (Museveni) de lui laisser ‘‘carte blanche’’ au Congo s’il n’y était plus intérressé). On croit savoir qu’en plus des problèmes liés au partage du butin, c’est le refus de Museveni d’accéder à cette demande qui fut à la base des affrontements UPDF – APR (RDF) de Kisangani de 1999.
Fâcheux précédents
L’interpellation du 14 juin par le président de l’Assemblée nationale à l’endroit du général Muhoozi, connu pour avoir oeuvré au dégel des relations Kigali-Kampala, paraît à cet égard comme du pain béni pour les stratèges du ‘‘Congo desk’’ rwandais qui échaffaude des manoeuvres tendant à réduire à peau de chagrin toute solidarité dans la région en faveur de la RDC.
C’est au cours d’une plénière consacrée à l’examen de la loi d’habilitation du gouvernement pour légiférer pendant les vacances parlementaires que Mboso, poussé à bout par des députés nationaux chauffés à blanc par la chute de Bunagana aux mains du RDF – M23, avait suggéré des mesures de rétorsion contre Kampala, dont la suspension de la ratification des accords conclus entre les chefs d’Etat des deux pays. «Le gouvernement est d’accord avec nous avant que ces troupes fassent ce qu’ils ont fait, nous avons dit à la suite du pacte que le fils de Museveni a signé avec le Rwanda, nous ne laissons pas passer cet accord. Il nous a montré qu’il avait signé son pacte, il vient de nous trahir. Nous avons dit, nous n’acceptons pas», a-t-il martelé.
Accords gelés
Le 27 mai 2021, les présidents Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni s’étaient en effet accordés sur la construction d’une route d’interconnexion régionale pour un coût global de 334,5 millions USD.
L’Accord intergouvernemental (AGR) signé à cet effet portait sur la construction de routes et l’asphaltage de trois axes routiers stratégiques pour la liaison entre la RDC et l’Ouganda : Kasindi – Beni (80 km), Beni – Butembo (54 km), et Bunagana – Rutshuru – Goma (89 km). La RDC et l’Ouganda devaient contribuer à hauteur de 20 % chacun dans le financement de ces travaux, et Dott Services Ltd, une entreprise basée à Kampala devant couvrir les 60 % restants. Il faudra attendre encore pour que ce projet démarre.
Une sous-région fragile
Le conflit de l’Est de la RDC est, en effet susceptible de fragiliser l’East African Community (EAC), une organisation longtemps mise à mal par la crise entre l’Ouganda et le Rwanda. Le sommet consacré à la situation sécuritaire en RDC en avril dernier semble avoir contourné le fond du problème – l’agression d’un pays par ses voisins – pour n’aborder qu’un épiphénomène : la présence des groupes armés à l’Est de la RDC.
Mercredi 15 juin 2022, le président kényan Uhuru Kenyatta, qui assure la présidence tournante de l’EAC a décrié la poursuite des affrontements au Nord-Kivu en s’appuyant sur une approche superficielle du conflit. Il a, en effet, appelé à l’activation de la force régionale de l’Afrique sous les auspices de l’EAC à déployer dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud- Kivu. Mais également à démilitariser les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu (Bunagana, Bugusa, Masisi, Lubero, Beni, Kasindi) et du Sud-Kivu. Selon son schéma, la force régionale de l’EAC, à déployer immédiatement se chargerait de stabiliser et d’imposer la paix en appui aux forces de sécurité de la RDC et en étroite collaboration avec la MONUSCO. Cette force militaire régionale oeuvrerait en collaboration avec les autorités provinciales au désarmement ordonné et permanent dans le cadre du programme de Désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS) afin de créer des conditions propices à la stabilité et à la paix à l’Est de la RDC.
Démilitariser des zones convoitées
Une réunion des commandants régionaux des forces de défense des pays membres de l’EAC est prévue le 19 juin 2022 à Nairobi pour finaliser les préparatifs de ce déploiement, a annoncé Uhuru Kenyatta, tout en appelant rebelles étrangers et groupes armés nationaux à déposer les armes immédiatement et sans conditions. Plus facile à dire qu’à faire.
En réalité, la réunion de Goma s’est heurtée de front au fond du problème sécuritaire congolais. Des divergences sont apparues entre les chefs d’états-majors des forces de défense de l’EAC dès qu’il a été question de condamner l’agression rwandaise contre la RDC. «La lecture du communiqué final de la réunion a été interrompue faute d’accord sur son contenu», indique-t-on.
Cette démilitarisation projetée des provinces de l’Est n’est pas sans rappeler celle qui a prévalu au Rwanda voisin avant sa conquête par l’APR de Kagame. Un fâcheux précédent auquel les Congolais n’ont aucun intérêt à se rallier.
Le Maximum