Lors de la douzième conférence diplomatique qui s’est déroulée à Kinshasa, du 26 au 28 février 2022, Félix Tshisekedi a lancé des piques à l’endroit du Rwanda, qui ne sont pas passées inaperçues. Les propos du Président congolais en disent long sur les rapports de plus en plus tendus entre Kigali et Kinshasa.
S’achemine-t-on vers un raidissement des relations entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ?
S’il est encore trop tôt pour le dire, reste que les propos tenus par le Président congolais, Félix Tshisekedi, lors de la douzième conférence diplomatique qui s’est déroulée à Kinshasa du 26 au 28 février 2022, le laissent penser. Durant cet événement auquel ont pris part plusieurs ambassadeurs congolais et chefs des missions diplomatiques étrangères, Tshisekedi a abordé la question sécuritaire dans la région des Grands Lacs, fustigeant le comportement de certains pays de la région qui génèrent des tensions avec leurs voisins. « Il est un devoir sacré de chaque État de notre sous-région d’éviter tout acte générateur de tensions et de conflits avec les autres ou, à tout le moins, d’en minimiser le risque », a-t-il déclaré, avant d’ajouter: « En tout cas, il est irréaliste et improductif, voire suicidaire, pour un pays de notre sous-région de penser qu’il tirerait toujours des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins ».
Bien qu’il n’ait nommé explicitement aucun pays, l’allusion au Rwanda, qui entretient des relations assez acrimonieuses avec la plupart de ses voisins, ne fait pas de doute.
Tensions avec le voisin rwandais
Opérations conjointes menées par les FARDC et UPDF
Il faut dire que les relations entre la RDC et le Rwanda, qui se sont renforcées depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, ne semblent plus être au beau fixe. En cause: les opérations conjointes menées par les armées congolaise et ougandaise dans la province de l’Ituri, dans l’est de la RDC, pour traquer la milice ougandaise des Forces démocratiques alliées (ADF) qui opère dans cette région.
Le Président rwandais Paul Kagame n’a pas digéré que Félix Tshisekedi ait autorisé ces opérations sans lui en faire part. Lui, dont les relations avec le Président ougandais Yoweri Museveni sont empreintes de méfiance en dépit de quelques signes de normalisation observés ces dernières semaines, et qui considère la partie orientale de la RDC comme sa zone d’influence. Dans un discours d’une cinquantaine de minutes tenu devant le parlement rwandais, il y a trois semaines, Kagame avait tenu des propos qui ont surpris plus d’un observateur en RDC en raison du ton particulièrement menaçant employé…
Entre deux feux
Yoweri Museveni et Paul Kagame
En outre, Tshisekedi s’est retrouvé au centre d’une rivalité qui ne dit pas son nom entre Museveni et Kagame. Depuis sa prise de fonction, il a tout fait pour les réconcilier, sans grand succès. Écartelé entre deux voisins se disputant la partie orientale de son pays, le numéro un congolais s’est résolu à ménager les susceptibilités de ses homologues, en répondant favorablement à leurs requêtes tant sur le plan économique qu’en matière de sécurité — la RDC hébergeant dans sa partie orientale des groupes armés que les régimes du Rwanda et de l’Ouganda prétendent vouloir neutraliser.
Mais toutes ces « concessions » ont été balayées d’un revers de la main par le Rwanda à partir du moment où la RDC a invité sur son territoire l’armée de son meilleur « ennemi ». Pour montrer son mécontentement, Paul Kagame a boycotté le 10e sommet de l’évaluation de l’accord-cadre d’Addis-Abeba qui s’est déroulé le 24 février dernier à Kinshasa et auquel plusieurs chefs d’État de la région et des diplomates de haut rang ont pris part. Il a préféré se faire représenter par son Premier ministre…
Entre lassitude et ras-le-bol
Une attitude qui déçoit Kinshasa où l’on a pourtant cessé de vanter les bonnes relations avec Kigali et qui permet de comprendre la sortie de Félix Tshisekedi lors de la douzième conférence diplomatique qui vient de s’achever dans la capitale congolaise. Selon l’expert militaire Jean-Jacques Wondo, cette sortie est aussi l’expression d’une accumulation de frustrations d’un Félix Tshisekedi mis sous pression par ses voisins et les événements du moment dans la sous-région.
« Je lis l’expression d’un Président mis sous pression par Museveni après la rencontre de Brazzaville [un sommet quadripartite qui s’est tenu à la mi-février, ndlr] boudée par Kigali et probablement frustré par l’absence de Kagame au sommet sur l’accord-cadre d’Addis-Abeba à Kinshasa, où il s’est fait représenter par le Premier ministre rwandais [personnalité sans aucune influence politique et diplomatique, ndlr] », souligne-t-il à Sputnik.
Pour Jean-Jacques Wondo, la conférence diplomatique a été l’occasion pour Félix Tshisekedi de répondre à son homologue rwandais qui n’a cessé de multiplier des propos discourtois à l’égard de sa gouvernance: « Les récentes sorties médiatiques de Kagame à propos de la gouvernance sécuritaire du régime congolais avaient un caractère moqueur et humiliant à l’égard de Tshisekedi », a-t-il fait remarquer, avant d’ajouter: « Ce dernier a probablement utilisé l’occasion de sa rencontre avec les diplomates pour répliquer ».
Cette réponse du berger à la bergère, qui s’apparente à une forme de lassitude frôlant les frontières du ras-le-bol, marque-t-elle un tournant dans les relations entre la RDC et le Rwanda?
Jean-Jacques Wondo se permet d’en douter. Selon lui, Félix Tshisekedi n’oserait pas aller en confrontation avec Paul Kagame. Il fait observer qu’au moment où le Président congolais lançait des piques à l’endroit de son homologue rwandais, une forte délégation de militaires congolais de très haut niveau se trouvait discrètement à Kigali. Parmi ces « visiteurs du soir », il y avait les généraux Constant Ndima, gouverneur militaire du Nord-Kivu, et Michel Mandiangu Mbala, qui est à la tête des renseignements militaires. Les raisons de leur présence à Kigali sont aussi floues que le brouillard du matin qui envahit les collines du Nord-Kivu…
Sputnik News