La Conférence épiscopale nationale du Congo tente de jouer les médiateurs entre Tshisekedi et Kabila. Son secrétaire général, l’abbé Donatien N’shole, insiste : les consultations en cours doivent permettre de « changer les choses » en profondeur.
Lundi 9 novembre, au Palais de la Nation. Face à une forêt de micros, entouré des évêques congolais, le cardinal Fridolin Ambongo se fait solennel. Si la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a accepté de participer aux discussions que Félix Tshisekedi a lancées pour tenter de constituer cette « union sacrée » qu’il appelle de ses voeux, c’est parce que « le peuple attend beaucoup de ces consultations ».
« La situation actuelle a démontré ses limites. Le peuple n’est plus au coeur des soucis de ceux qui nous gouvernent. Il faut que quelque chose change », martèle l’archevêque de Kinshasa.
Quelques jours plus tard, une délégation de la Cenco, conduite par son président, Mgr Marcel Utembi, l’archevêque de Kisangani, a rencontré Joseph Kabila, qui a demandé aux cadres du Front commun pour le Congo (FCC) de ne pas participer de manière individuelle aux consultations. Objectif de cette rencontre : « Lui donner des conseils, en ce moment, et aussi l’écouter afin de continuer à réfléchir », a déclaré à l’issue de l’entretien l’abbé Donatien N’shole, secrétaire général de la Cenco.
La Cenco a également rencontré Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle qui a refusé de participer aux consultations, ainsi que le Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, membre du FCC de Kabila.
L’abbé Donatien N’shole, qui a reçu Jeune Afrique au au siège de la Cenco, à Kinshasa, insiste sur le fait que la démarche des évêques congolais n’entre pas en concurrence avec les consultations menées par le chef de l’État, mais vise à favoriser l’émergence d’une « solution politique appropriée ». Et pour Donatien N’shole, l’une des principales urgences est de procéder à des réformes électorales consensuelles car « la mauvaise gestion des élections de 2018 est la principale raison de la crise actuelle ».
Jeune Afrique : En quelques jours, les évêques ont rencontré le président Félix Tshisekedi, son prédécesseur Joseph Kabila, l’opposant Martin Fayulu et le Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Quel a été le message porté ?
Donatien N’shole : La crise est profonde et les évêques ont voulu dire leur regret face au fait que, malgré leurs multiples interpellations sur les querelles intestines qui déchirent la coalition FCC-Cach [Cap pour le changement], la situation ne fait qu’empirer.
Les Congolais souffrent énormément et il n’y a pas d’avancées sur les réformes attendues. Nous sommes arrivés à la conclusion que, dans la dynamique actuelle, on ne peut pas espérer reconstruire le pays. Il faut donc une solution politique appropriée.
Que préconisez-vous ?
Nous n’avons pas de recettes politiques à donner.
Votre initiative ne risque-t-elle pas de perturber les consultations lancées par Félix Tshisekedi ?
Pas du tout. Nous ne faisons qu’apporter notre contribution, pour impliquer les acteurs politiques et faire comprendre à tous qu’il faut mener des réformes consensuelles, en particulier en ce qui concerne les élections.
Il faut le dire avec insistance : la mauvaise gestion des élections de 2018 est la principale raison de la crise actuelle. Il faudra donc se préparer pour organiser des scrutins [en 2023] qui nous feront sortir de la crise et donneront des institutions fortes et légitimes.
La dissolution de la coalition au pouvoir vous semble-t-elle inévitable ?
Il faut une nouvelle dynamique politique. La dynamique actuelle, malheureusement, ne peut pas nous offrir de bonnes choses.
À la fin des consultations de Félix Tshisekedi, quelle option vous semble-t-elle préférable ?
Encore une fois, il ne revient pas aux évêques de dicter au président sa conduite. Mais il lui revient de prendre ses responsabilités, tout en privilégiant l’intérêt supérieur de la nation, le respect de la Constitution et l’intégrité du pays.
Comment espérer une solution consensuelle alors que certains des principaux acteurs politiques, dont les alliés de Joseph Kabila ou l’opposant Martin Fayulu, s’opposent à la démarche du président Tshisekedi ?
C’est bien pour cela que nous nous impliquons ! Tout le monde doit comprendre que la raison première de cette crise que nous traversons réside dans la mauvaise gestion des élections passées. La meilleure solution est donc de préparer, dès à présent, de bonnes élections pour 2023. Il faut atteindre le consensus sur ce point.
Pour cela, il n’est pas utile d’organiser un grand dialogue comme celui qui a débouché sur l’accord de la Saint-Sylvestre en 2016. On a surtout besoin que les principaux acteurs politiques se concentrent sur l’essentiel. Il faut plutôt imaginer un mécanisme dans lequel les grandes forces politiques peuvent se retrouver et mettre en place des réformes qui vont protéger les intérêts des uns et des autres et, surtout, répondre aux besoins de la population.
Martin Fayulu, pour avoir échangé avec lui, n’est pas fermé à l’idée échanger avec le président Tshisekedi. Mais c’est le cadre de ces consultations qui lui pose problème.
Craignez-vous que la situation actuelle débouche sur une période d’instabilité politique ?
Nous ne le souhaitons évidemment pas, mais c’est possible, si les acteurs politiques ne se montrent pas responsables. Mais l’alternance de 2018 ne donne pas les résultats escomptés. Les éléments positifs qui ont été salués au début [du mandat de Félix Tshisekedi] ne font plus espérer. Il faut changer des choses.
J.A