La République Démocratique du Congo est actuellement le théâtre d’une affaire judiciaire qui suscite un vif débat sur l’impartialité de son système judiciaire. Au centre de cette controverse se trouve l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo Mapon, un acteur politique éminent du pays. L’accusation de détournement de fonds publics, s’élevant à hauteur de 205 millions de dollars, et d’association de malfaiteurs qui pèse sur lui depuis 2020 en lien avec la gestion du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, dans la province du Bandundu, a mis en lumière une série de rebondissements judiciaires intrigants.
Le dossier Matata Ponyo a soulevé des questions fondamentales concernant l’indépendance de la justice congolaise, la séparation des pouvoirs et le respect de l’État de droit. La chronologie des événements révèle un changement de position de la Cour constitutionnelle, ce qui a suscité des doutes quant à l’influence politique sur la justice.
En mars 2019, Matata Ponyo est devenu Sénateur de la province du Maniema, ce qui lui a conféré une immunité parlementaire. Le procureur général près la Cour constitutionnelle a demandé la levée de cette immunité pour permettre la poursuite de l’ancien Premier ministre. Cependant, le Sénat a rejeté cette demande en mars 2021, affirmant que c’était à la Cour de cassation de formuler la requête.
En novembre 2021, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour juger Matata Ponyo et ses deux coaccusés, le ministre Patrice Kitebi et l’homme d’affaires sud-africain Kristo Groblert. Cependant, en juin 2022, la Cour de cassation a saisi à son tour la Cour constitutionnelle pour une interprétation des dispositions constitutionnelles concernant le juge pénal du Président de la République et du Premier Ministre. Cette fois-ci, la Cour constitutionnelle s’est déclarée compétente pour juger l’ancien Premier ministre, un revirement qui a soulevé des questions sur les motifs derrière cette décision.
Le Dr. Flavien Shirandi, PhD., souligne que ce changement de position peut être attribué au changement de leadership au sein de la Cour constitutionnelle. Le départ du juge président Dieudonné Kaluba et du juge Prince Funga, président intérimaire par intérim, en mai 2022, pourrait avoir influencé cette décision. Certains suggèrent même que cela pourrait être le résultat d’une manipulation politique.
La Cour constitutionnelle a justifié sa décision en interprétant l’article 164 de la Constitution, affirmant que l’expression « dans l’exercice des fonctions » signifie que les actes incriminés doivent être liés à l’exercice effectif des fonctions du Président de la République ou du Premier Ministre. Cette interprétation a ouvert la voie à la poursuite de Matata Ponyo.
Cependant, les avocats de Matata Ponyo contestent cette décision. Ils font valoir que la Cour constitutionnelle s’était déjà prononcée sur la question et qu’elle ne peut pas revenir sur sa décision en vertu du principe « non bis in idem, » qui stipule qu’une personne ne peut être poursuivie deux fois pour la même infraction. Ils estiment également que la Cour constitutionnelle a statué au-delà de ce qui lui avait été soumis et que la Constitution ne prévoit pas clairement devant quelle juridiction les anciens Présidents et Premiers ministres doivent être jugés.
Pour Matata Ponyo et ses partisans, cette affaire est perçue comme un acharnement politique visant à l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2023. Ils estiment que la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour le juger, ce qui soulève des questions sur le respect de l’État de droit.
Le cas Matata Ponyo met en lumière la nécessité d’une justice indépendante et impartiale en RD Congo. Pour que l’État de droit soit pleinement respecté, la séparation des pouvoirs doit être maintenue, et les décisions judiciaires ne doivent pas être influencées par des considérations politiques. Les choix du président Tshisekedi en ce qui concerne les animateurs de la justice ont suscité des préoccupations quant à l’indépendance de cette institution clé. Le Dr. Flavien Shirandi, PhD., souligne que pour que la justice puisse jouer son rôle de manière efficace, elle doit être à l’abri de toute ingérence politique.
Alors que le procès de Matata Ponyo s’est ouvert en août 2023, la RD Congo est confrontée à une question cruciale : la justice est-elle en mesure de remplir son rôle dans le respect de l’État de droit ? L’issue de cette affaire aura des répercussions profondes sur la crédibilité du système judiciaire congolais et sur la stabilité politique du pays. Le Président Tshisekedi doit garantir le bon fonctionnement des institutions de la République et le respect de la loi pour préserver l’intégrité de la justice et la confiance du peuple congolais.