Kinshasa, le 19 septembre 2023 – Une préoccupation grandissante se fait sentir au sein du Centre de Recherches en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL) concernant la gestion des fonds d’investissements alloués par le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) aux provinces et aux entités territoriales décentralisées (ETD), dans le cadre de l’exécution du budget de l’année 2023. Le dossier qui attire particulièrement l’attention concerne un décaissement substantiel de 25 millions de dollars destinés à la province du Sud-Ubangi.
Après une analyse minutieuse des informations recueillies auprès des différentes instances publiques, le CREFDL met en lumière une série de constatations alarmantes.
Le Bureau Central de Coordination des Marchés Publics (BCeCo) a attribué deux marchés en procédure de gré à gré pour le compte de la province du Sud-Ubangi. Le premier marché concerne la construction et la réhabilitation du Gouvernorat, de l’Assemblée Provinciale ainsi que de quatre écoles à Gemena, pour un montant exorbitant de 6 958 818 dollars (TTC). Le second marché de gré à gré concerne les travaux de modernisation de 10,7 kilomètres de voirie urbaine dans la ville de Gemena, incluant la construction de trois ponts, pour un montant total de 18 137 132 dollars (TTC). Le premier marché a été attribué à l’entreprise AARON SEFU (AES) tandis que le second a été accordé à IMMO SERKAS.
Le BCeCo justifie l’absence d’un appel d’offres en invoquant une « extrême urgence » conformément aux articles 30 et 31 du Décret portant manuel des procédures de la loi relative aux marchés publics. Toutefois, le CREFDL souligne que ces deux contrats ont été passés en violation de l’article 134 du décret n°23/12 du 3 mars 2023, portant manuel de procédures des marchés publics.
Plusieurs éléments viennent étayer cette affirmation :
- L’absence d’une situation d’urgence justifiant le recours à l’attribution de ces marchés de gré à gré, en particulier l’absence de circonstances imprévisibles à la base de cette décision.
- Le fait que d’autres prestataires disposent des compétences techniques et artistiques requises pour ces travaux, remettant en question le choix exclusif des entreprises sélectionnées.
- L’existence de conflits d’intérêt dans le processus de passation des marchés.
Une autre inquiétude qui pèse sur cette situation concerne l’absence d’une inscription formelle des 25 millions de dollars transférés au Sud-Ubangi dans la loi des finances de l’année 2023.
Le CREFDL insiste sur le fait que le BCeCo ne peut pas agir en tant qu’autorité contractante pour ces marchés, car ils relèvent de la compétence du Gouverneur de la province, conformément à l’article 13, alinéa 1er de la Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et au Décret n°10/32 du 28 décembre 2010.
Face à ces constatations troublantes, le CREFDL formule les recommandations suivantes :
- Au Gouvernement : Respecter la loi des finances afin de prévenir le gaspillage des ressources et garantir le respect strict de la loi sur les marchés publics et de ses textes d’accompagnement, dans le but de rationaliser la gestion des fonds publics.
- À l’autorité de régulation des marchés publics : Saisir le gouvernement en vue de l’annulation des marchés en question.
- À la PIGE (Presse d’Investigation et de Grand Enquête) : Mener une enquête approfondie sur cette dépense et effectuer un contrôle à mi-parcours, en collaboration avec les autorités compétentes.
- À la population : Exiger des autorités locales l’observation scrupuleuse des lois relatives à la décentralisation et à la gestion transparente des finances publiques.
Il est essentiel que la lumière soit faite sur cette affaire pour garantir une utilisation responsable et transparente des fonds publics, conformément aux principes fondamentaux de la libre administration des provinces énoncés dans la Loi n°08/012 du 31 juillet 2008.