Félix Tshisekedi annonce qu’il s’exprimera devant le peuple ce vendredi. Le conseil des ministres n’est pas convoqué.
« Quand vous avez le vent en poupe, ce n’est pas le moment de baisser les voiles ». L’image marine est donnée par un acteur politique proche de la présidence congolaise. Pour notre homme, le coup de force réalisé par Tshisekedi mercredi, avec la prestation de serment des trois nouveaux juges qu’il a désignés à la Cour constitutionnelle, « change complètement le rapport de force au sommet de l’État ». Et quand on l’interroge sur la légalité de ce « coup de force », l’homme se contente d’un triste « tous les coups sont permis » qui situe bien le combat qui se livre entre les deux actuels principaux acteurs de la scène politique congolaise : Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Un combat peu regardant sur les textes de loi. Une dérive dangereuse quel que soit le motif qui tente de la justifier.
Ce vendredi, fort de ce succès, Félix Tshisekedi devrait faire des annonces. Un message qui le pousse à annuler le conseil des ministres hebdomadaire.
« Il devrait annoncer l’ouverture de concertations nationales », explique un opposant. Pour plusieurs interlocuteurs, le report du conseil des ministres confirme la volonté du président de la République de pousser son Premier ministre à la démission. Sylvestre Ilunga, le chef de l’exécutif avait été chargé par le président d’organiser la prestation de serment des juges de la Cour constitutionnelle. En bon soldat de la Kabilie, le Premier ministre ne s’est évidemment pas impliqué dans le grand show de ce mercredi. Il a même brillé par son absence, lors de cette prestation de serment.
« En le chargeant d’organiser cette prestation de serment, Tshisekedi le coinçait. Il savait que son Premier ministre ne s’exécuterait pas et qu’il le mettrait en difficulté », enchaîne un opposant qui compte les points entre les deux alliés en plein divorce.
S’il est parvenu à prendre le contrôle de la Cour constitutionnelle, Tshisekedi n’a pas fini ses travaux. Il doit encore pouvoir inverser le rapport de force au sein du parlement et obtenir la présidence de la Ceni. Deux défis qui paraissaient impossibles jusqu’à ce mercredi mais qui, désormais, peuvent s’entrevoir même si la route sera très compliquée.
Impossible de tenter aujourd’hui de démettre le parlement tant que la nouvelle Ceni n’est pas sur pied. Tshisekedi doit donc tenter de renverser les équilibres au sein de la Chambre des représentants. Un scénario qui passe inexorablement par les fameuses concertations qu’il devrait annoncer ce vendredi. Il s’agirait donc, vu le blocage institutionnel entre les deux alliés au pouvoir, de chercher de nouveaux alliés qui devront venir à la fois des rangs du FCC, le Front Commun pour le Congo, la plate-forme d’un Joseph Kabila jugé en perte de vitesse, et de l’opposition (on pense à Katumbi et Bemba surtout, on imagine mal Fayulu entrer dans ce jeu) qui devrait accepter de convoler avec celui qui les a trahis au lendemain du 11 novembre 2018 et la réunion de Genève de Lamuka.
« Tout va dépendre de ce que le président va mettre sur la table. S’il pouvait obtenir la démission d’Ilunga, il pourrait nommer un informateur qui pourrait aller démarcher de futurs alliés au parlement », poursuit un kabiliste déjà en trashumance vers la « Tshisekedie ».
Dans les rangs du FCC, le coup de force de mercredi est vécu comme un traumatisme et beaucoup commencent à se poser des questions sur leur avenir et sur la marge de manoeuvre dont peut encore se prévaloir leur autorité morale. D’autant que nombre de députés actuels du FCC commencent à montrer leur agacement face à une autorité qui « envoie des injonctions mais sans monter au front et sans récompenser ceux qui prennent les coups ».
La perte de la Cour constitutionnelle modifie donc bien la donne en profondeur. Depuis mercredi, Joseph Kabila et sa garde rapprochée sont inaudibles. Pas étonnant dans le chef de l’ancien président réputé pour son mutisme, plus surpenant pour des Shadary ou des Thambwe qui devront revenir sur le devant de la scène.
Tshisekedi est gonflé à bloc. Lors de son séjour à Bruxelles, fin septembre, un de ses conseillers racontait à qui voulait l’entendre qu’ils allaient « renverser les équilibres politiques, prendre les commandes du parlement et virer Mabunda du perchoir de l’Assemblée nationale ». Les prochaines semaines seront déterminantes. Mais les calculs seront serrés. La Kabilie dispose d’une majorité écrasante et si Tshisekedi veut arriver à ses fins, il faudra qu’il lâche beaucoup de pouvoir à ses nouveaux « alliés » qui ne viendront que si le déplacement en vaut vraiment la peine, ce qui va aussi créer des tensions au sein de l’UDPS. A moins, évidemment, que Tshisekedi soit prêt à lancer un nouveau mouvement politique comme certains l’annoncent.
Libre Afrique