Nord-Kivu République démocratique du Congo
Dans les recoins les plus sombres du Nord-Kivu, au cœur de la République démocratique du Congo, un drame silencieux se joue quotidiennement. C’est le combat acharné de centaines de milliers de personnes déplacées, contraintes de trouver refuge dans les camps éparpillés autour de la ville de Goma. Cette lutte pour la survie est particulièrement implacable pour les femmes, véritables héroïnes de l’ombre de cette tragédie.
Chaque jour qui se lève, près de 70 femmes, victimes d’agressions sexuelles d’une violence inouïe, poussent les portes des structures mises en place par Médecins Sans Frontières (MSF) dans les sites de Lushagala, Bulengo, Elohim, Shabindu, Rusayo, et Kanyaruchinya. Une situation qui, à bien des égards, est intolérable. Ces femmes, déjà fragilisées par les conditions de vie précaires qui sont les leurs, où l’accès à la nourriture et à d’autres biens essentiels est extrêmement limité, ont besoin d’un soutien urgent. Il est impératif que les acteurs humanitaires, les bailleurs de fonds internationaux, et les autorités congolaises mobilisent leurs efforts de manière plus déterminée pour améliorer durablement la vie de ces femmes et réduire les risques auxquels elles sont exposées.
« Pour survivre, notre seul recours est de nous aventurer dans les champs, mais les femmes, comme moi, qui ont été cruellement agressées, ne peuvent plus retourner dans ces zones dangereuses. Nous dépendons entièrement de l’aide humanitaire », confie une jeune femme de 20 ans, dont le visage porte les marques indélébiles de la terreur. Son calvaire a commencé lorsqu’elle a été violemment agressée par un homme armé alors qu’elle labourait la terre pour cultiver des haricots à proximité du camp de Lushagala.
La réalité des femmes dans ces camps est tout simplement désespérante. Souvent contraintes de prendre en charge seules leurs familles, elles n’ont d’autre choix que de quitter la relative sécurité du camp pour chercher du bois et de la nourriture. Cette quête quotidienne les expose à des risques terribles, en particulier ceux des violences sexuelles.
<< Au seul mois de juillet, sur les sites de Rusayo, Shabindu et Elohim, 1500 femmes, brisées et meurtries, ont cherché refuge auprès des équipes MSF, soit 2,5 fois plus qu’en mai dernier ! », nous révèle Rasmane Kabore, le chef de mission de MSF. « 80% de ces survivantes ont été prises en charge dans les 72 heures qui ont suivi leur agression, une mesure d’urgence criante. Plus elles reçoivent une assistance rapide, plus elles ont de chances d’éviter des grossesses non désirées, des infections sexuellement transmissibles, notamment le VIH, et d’autres complications. Il est également déchirant de constater que ces agressions deviennent de plus en plus violentes, avec des blessures physiques qui s’ajoutent à la douleur, et un nombre croissant de femmes violées à plusieurs reprises. »
La plupart de ces femmes subissent ces horreurs lorsqu’elles s’aventurent hors des camps à la recherche de bois ou de nourriture. Toutefois, ces dernières semaines, les équipes de MSF ont noté une augmentation effrayante des agressions sexuelles, en hausse de près de 15%, même à l’intérieur même des sites où MSF intervient. Les familles y vivent dans des tentes fragiles, qui ne ferment pas à clé, et le manque d’accès aux services de base les pousse parfois à des rapports sexuels transactionnels, les exposant ainsi à l’exploitation et aux abus.
« Après mon agression, les proches de mon mari lui ont conseillé de m’abandonner, et aujourd’hui je me retrouve seule à élever mes quatre enfants », confie une jeune femme de 23 ans, enceinte, qui réside dans le camp de Rusayo. Dans un contexte aussi difficile, le travail des mobilisateurs communautaires se révèle essentiel pour lutter contre la stigmatisation. « J’ai entendu un relais communautaire parler au mégaphone près de chez moi. Il a indiqué le chemin vers la clinique Tumaini (Espoir en Swahili), en montrant une fleur dessinée, pour les victimes de violences », poursuit une jeune femme de 20 ans vivant à Lushagala. « Il a expliqué que, en suivant cette fleur, nous trouverions des personnes de confiance à qui parler, ainsi que les soins dont nous avons désespérément besoin. »
Pour répondre aux besoins des femmes, une gamme complète de services de soins est nécessaire. Outre les soins médicaux et psychologiques prodigués aux victimes de violences sexuelles, les équipes de MSF offrent aux femmes un éventail de solutions, de la contraception au traitement des maladies sexuellement transmissibles en passant par l’interruption de grossesse. Au centre de santé de Kanyaruchinya, MSF soutient les services obstétricaux et néonataux, où chaque jour, une dizaine de femmes accouchent en toute sécurité.
« Pour échapper au pire, je suis allée chez MSF pour obtenir des moyens de contraception, dans l’espoir de ne pas tomber enceinte si je suis de nouveau agressée. Je ne peux pas nourrir davantage d’enfants », explique une femme soignée dans la clinique MSF à Rusayo. Outre les séquelles médicales, ces femmes portent le fardeau de troubles émotionnels, d’anxiété, de dépression et d’insomnie. Elles ont besoin d’un soutien psychologique pour éviter que leur état mental ne se détériore davantage dans une période où elles doivent puiser au fond d’elles-mêmes pour faire face aux défis quotidiens », explique Jerlace Mulekya, superviseur de la santé mentale dans la clinique MSF à Lushagala.
Malgré une amélioration récente de l’accès à l’eau, aux toilettes, et à d’autres services de base dans certains sites
, les femmes continuent à vivre dans des conditions d’hygiène épouvantables. « J’ai souvent des infections, et obtenir du savon est une tâche ardue », déplore une jeune femme enceinte de trois mois rencontrée dans le camp de Rusayo. Dans la maternité soutenue par MSF à Kanyaruchinya, une jeune mère raconte qu’elle n’a rien mangé depuis la veille de son accouchement. « La nourriture donne la force. Si je ne mange pas, mon bébé non plus. Il faut que je produise du lait pour le nourrir », explique-t-elle.
Rasmane Kabore, le chef de mission de MSF, souligne : « Nous sommes une organisation médicale humanitaire, mais d’autres acteurs, ainsi que les autorités congolaises, doivent redoubler d’efforts pour prévenir les violences à l’encontre des femmes, assurer leur protection dans les camps, et mettre fin à l’impunité des auteurs de ces crimes. » À cette fin, les bailleurs de fonds doivent continuer à accroître leur financement, et les acteurs humanitaires doivent intensifier leurs efforts pour améliorer la condition des femmes. Cela passe par un meilleur accès à la nourriture, la distribution de combustibles et d’équipements de cuisine, ainsi que la mise en place de services de protection solides et légaux, afin que les femmes puissent se sentir en sécurité. Les victimes méritent une approche globale, axée sur leurs besoins et leurs choix, ainsi qu’un soutien économique substantiel pour faciliter leur réinsertion sociale », conclut-il.
Dans l’ombre des camps de Goma, les femmes déplacées luttent pour leur survie, bravant l’horreur quotidienne avec une force et une résilience extraordinaires. Il est temps de faire entendre leur voix et de mettre un terme à ce cycle insupportable de souffrance et de violence.